L'avènement des digisimilaires
Le concept digisimilaire s'approche de son homologue de l'industrie pharmaceutique (biosimilaires), ce qui signifie qu'il s'agit de versions moins chères d'un produit original de marque (référence), qui agit de manière très similaire et possède des fonctionnalités identiques.
Les entreprises pharmaceutiques et de santé numérique s'éloignent lentement des long cycles de recherche et adoptent des études décentralisées dans lesquelles les patients peuvent continuer à vivre leur vie «normale». La production de preuves obtenues en contexte de vie réelle (de l'anglais real-world evidence, ou RWE) par les patients peut réduire les coûts de recherche, faciliter la collecte de données et accélérer la commercialisation des innovations. Par conséquent, du point de vue des outils numériques en santé, les RWE sont considérés comme une opportunité unique, car leur génération permet une validation rapide et relativement peu coûteuse de l'intervention en santé (numérique).
Néanmoins, cela peut également accélérer la capacité d'une grande variété d'organisations à copier des innovations de dites de "référence". Cela amène une complexité supplémentaire à une industrie déjà complexe, car les patients, les fournisseurs de soins et les payeurs interagissent avec diverses innovations avec une grande variété de stratégies de commercialisation et de niveaux de validation différents.
Le travail réalisé par la Digital Medicine Society montre qu'un nombre croissant de titulaires de l'industrie pharmaceutique commencent à générer des RWE dans des études décentralisées. Alors que certains utilisent des appareils tels que des montres intelligentes et des téléphones intelligents, d’autres emploient des questionnaires numériques pour produire des preuves entourant l’innocuité et l’efficacité de leurs produits. Nous appelons celles-ci les résultats et mesures de l'expérience rapportés par les patients PROM/PREM, pour patient-reported outcome measures et patient-reported experience measures.
Les entreprises manufacturières d'outils numérique en santé (ONS) investissent dans la génération de RWE pour soutenir leurs revendications cliniques (de l'anglais medical claims). Ces entreprises espèrent ainsi obtenir une couverture ou un remboursement par les payeurs (comme Big Health l'a fait l'année dernière et quelques autres sociétés produisant des Digital therapeutics (DTx) depuis). Voilè une approche que nous prévoyons être de plus en plus répandue dans cette industrie, car la collection de RWE sert à la fois à la validation et à l'intervention numérique elle-même.
En d'autres termes, pour les manufacturiers provenant de l'industrie de la santé numérique, l'ONS est le médicament.
Compte tenu de la vitesse avec laquelle les entreprises de santé numérique peuvent générer de la donnée (RWE) et itérer les produits en conséquence de résultats mesurés, nous nous attendons à ce qu'un nombre croissant d'organisations commercialisent des innovations fortement inspirées par des ONS déjà lancées et ayant eu du succès. Dans cet article, nous appelons ces derniers des produits de référence.
En santé/bien-être, Apple l'a fait.
L'inspiration vient souvent d'endroits inattendus. Cependant, ce n’était pas le cas d'Apple lors de l’inclusion récente d’un journal de la fertilité dans leur application Santé.
Grâce à son App Store, Apple a accès à des données précieuses pour inspirer sa stratégie de lancement de nouveaux produits.
On peut penser qu'Apple a été fortement inspiré par Clue en octobre 2019. À l'époque, l'application de suivi de la fertilité faisait partie du top 3 des applications en femtech de l'App Store. Peu de temps après, Apple a lancé iOS 13 dans lequel il a inclus un tracker de fertilité, appelé Cycle, gratuit pour tous les utilisateurs iOS.
Ce n'était pas la première fois qu'Apple publiait des produits inspirés de ceux trouvés dans le App Store, comme indiqué dans cet article du Washington Post (et ce ne sera probablement pas la dernière fois).
Puisque Apple et Google collectent une quantité énorme de données d'utilisation des applications via leurs App Store, les entreprises partagent sans le vouloir des secrets sur les performances de leurs applications. Elles permettent aux géants de la technologie d'effectuer des comparaisons directes des applications. Ces derniers peuvent alors concevoir de nouveaux produits qu'ils seront populaires (taux d'ouverture, taux d'engagement) et efficaces (génération RWE via HealthKit/Google Fit, Health Records pour iPhone).
C'est probablement ce à quoi la PDG de Clue faisait référence en parlant «d'une relation d'amour-haine» entre les manufacturiers d'applications et Apple.
Dans l'univers des DTx, UnitedHealth Group l'a fait.
Level2 est un autre exemple d'un produit créé par une organisation et fortement inspiré d'un produit de référence déjà présent sur le marché. Dans ce cas précis, il est intéressant de noter que l'organisation ayant été inspirée n'est pas une entreprise traditionnellement impliquée dans la santé numérique.
En effet, ce produit a été lancé plus tôt le mois dernier par le plus grand assureur-maladie américain, UnitedHealth Group (UHG). Level2 agit comme un concurrent direct de Livongo, Omada et Virta, des applications pour renverser le diabète de type 2 grâce à un ensemble de fonctionnalités (par exemple, une communauté virtuelle, un journal du glucose, le coaching automatisé par un algorithme visant l'intégration de saines habitudes de vie, etc.). En parlant de RWE, Level2 sera mis à la disposition de 230 000 personnes (employés) gratuitement dans les prochaines semaines, pour permettre d'autres itérations du produit et une amélioration continue, en plus de créer de la valeur et pour les employés.
Digisimilaires, un nouveau concept à surveiller
Toutes ces considérations nous portent à croire que nous sommes dans l'avènement d'un nouveau concept dans l'industrie de la santé numérique: les digisimilaires.
Le concept de digisimilaire s'apparente à son homologue de l'industrie pharmaceutique (biosimilaires), ce qui signifie qu'il s'agit de versions moins chères d'un produit original de marque (référence). Les digisimlaires agissent de manière équivalentes et contiennent des composants numériques, ou ingrédients actifs, très similaires à ceux d'une version plus chère/originale (le produit de référence auquel on faisait référence en début d'article).
Dû au fait que les produits de référence peuvent également provenir d'applications de bien-être (l'exemple de Clue ci-haut), ces produits de référence peuvent ne pas être validés, contrairement à ce que l'on voit dans l'industrie pharmaceutique. Cela complexifie d'autant plus ce marché. Pour déterminer si un produit peut être considéré comme «de référence» dans l'industrie de la santé numérique, il faut se concentrer sur son prix (relativement cher), son originalité (un pionnier) et son succès (reconnu dans l'industrie).
Lorsqu'il s'agit d'ONS, l'équivalence (ou digi-équivalence?) n'a pas besoin d'être tirée d'études pharmacocinétiques comme c'est le cas avec les biosimilaires. Au lieu de cela, il est tiré de la génération de RWE, même après un lancement initial, car une entreprise peut modifier un ONS sur une base continue en fonction des données réelles (RWE). Aussi, contrairement aux innovations issues de l'industrie pharmaceutique, la plupart des ONS ne sont pas protégés par un brevet.
Alors, qu'est-ce que cela signifie:
1) pour les fabricants d'outils numériques en santé?
Vous devez collecter du RWE, et ce dès maintenant (même si vous vous considérez comme une application de bien-être). Ce faisant, les décideurs (payeurs et cliniciens) auront une meilleure compréhension de la valeur de votre produit. Cela facilitera les éventuelles décisions de couverture ou de prescription.
Utiliser Apple HealthKit ou Google Fit est un excellent moyen de faciliter l'expérience utilisateur. Cependant, rappelez-vous que cela facilite considérablement le travail des géants de la technologie lorsqu'il seront à la recherche d'inspiration. La meilleure alternative est d'utiliser un service qui collecte du RWE pour le compte de votre organisation. Ensuite, mobilisez les données ainsi colligées pour valider l'efficacité de votre outil de façon continue. N'oubliez pas: si vous prévoyez faire des revendications cliniques (medical claims) sur la base des données que vous collectez, vous devrez engager des conversations dès maintenant avec les organisations de réglementation. Cela dit, le RWE peut aider à faciliter les discussions et la classification de votre outil par ces derniers.
Si vous vous considérez comme un manufacturiers de Digital Therapeutics (DTx), sachez que la concurrence peut venir d'entreprises externes à votre secteur d'affaires. Par exemple, elle pourrait provenir d'acteurs clés avec lesquels vous avez déjà eu des discussions (assureurs, grands employeurs, investisseurs, etc.).
2) pour les décideurs (payeurs, organismes de santé)?
En bref, cela signifie que le pool de produits avec lesquels vous pouvez interagir pour les décisions de formulaire/partenariat est beaucoup plus large que ce que vous aviez initialement envisagé. Ayant en main du RWE, de nouveaux joueurs viendront bientôt frapper à votre porte pour proposer des alternatives moins chères aux produits phares que vous envisagiez autrefois. Bien sûr, ils ne présenteront pas les preuves recueillies dans le cadre d'une étude de large envergure bien conçue publiée dans une revue avec l'évaluation par les pairs. Néanmoins, ils affirmeront que les preuves qu'ils apportent ont été générées par les utilisateurs de la version actuelle de leur outil (et non pas d'une version ayant été étudiée en 2017 et dont la publication a été effectuée en 2020).
Chez Therappx, nous soutenons les décideurs en fournissant des informations sur 58 points de données concernant un grand nombre d'ONS disponibles sur le marché canadien par le biais de notre produit phare (Therappx CORE). Si nos clients ont besoin davantage d'information sur un produit (par exemple, suite à la sollicitation d'un manufacturier), nous procédons à une nouvelle analyse et rendons disponibles des informations uniques en 48 heures ou moins.
3) pour les cliniciens et leurs patients?
En tant que clinicien, vos patients vous poseront de nombreuses questions sur les ONS.
Par conséquent, vous serez rapidement confrontés à une courbe d'apprentissage rapide en ce qui concerne ce qui est disponible dans le paysage de la santé numérique (200 000 produits, environ), mais surtout ce qui fait le plus de sens pour un de vos patients.
De plus, vous voudrez vous assurer que l'outil que vous avez recommandé à votre patient se traduit gain au niveau de sa santé. Vous devrez donc trouver une façon efficace de confirmer l'efficacité d'un outil donné en contexte de vie réelle (RWE).
Pour comprendre la différence entre la qualité et la valeur en santé numérique, vous pouvez lire cet article. Therappx est actuellement impliqué dans des projets de recherche concernant la recommandation / prescription d'ONS en milieu clinique. Cela fera l'objet d'un prochain article et lancement de produit, tel que Therappx PRESCRIBE. Pour le moment, vous pouvez en apprendre davantage en accédant à notre site web.
En conclusion, le RWE permet au manufacturiers d'ONS de valider et d'itérer rapidement leurs produits. Nous prévoyons que les essais randomisés contrôlés (ou RCT), bien qu'ils soient les meilleurs pour la validation des interventions traditionnelles comme les médicaments et certains produits de thérapies numériques, seront moins adoptés par l'industrie au cours des prochaines années. Nous croyons que les RCT serviront surtout à démontrer la culture de qualité et d’excellence organisationnelle d’un manufacturier, mais que les parties prenantes prendront des décisions basées de plus en plus sur le RWE. Sur une autre note, nous confirmons qu'il y a des chances que ce même RWE soutienne certaines organisations dans la conception de ce que nous définissons comme des digisimilaires.